De la préservation des oeuvres d'art
C'est d'abord une attente, de celle nouée dans l'impatience de revoir l'objet aimé, comme l'annonce d'un bonheur qu'on pense retrouver et - il n'y a rien. Une deception. Il reste du crépi et une pancarte, comme une épitaphe : ci-gît le mur, vidé de sa substance, muet maintenant, qui portait le déluge d'Ucello.
J'ai retrouvé la fresque dans le musée adjacent : hors sol, éclairée chichement, loin de la lumière du soleil et du cloitre dans lequel elle nichait, - cloitre qui invite à la déambulation et recueillement, plus simplement à la contemplation, avec en son centre un jardin de quiétude, dépouillé et serein. Les conservateurs avaient ainsi décidé de la mettre à l'abri, pour préservation.
Je n'ai pas pu m'empêcher de faire un parallèle avec les zoos, qui se voudraient des lieux de préservation des espèces, du moins le prétendent-ils justifiant ainsi leur existence. Mais que valent ces vies qui se passent derrière les barreaux ? des vies qui ne dépendent pas d'elles-mêmes ? condamnées au zoo de génération en génération ?
Que dire d'un animal qui ne goutera jamais à sa liberté ? Et d'une œuvre qui n'apparait plus dans son cadre naturel, qui perd peut-être un peu de son identité ?
J'imagine que ce doit être pour un conservateur, sans doute amoureux d'art, un vrai dilemme à moins que la décision n'ait été prise sans état d'âme particulier, la préservation de l'oeuvre prévalant sur toute autre considération.
Je me demande s'il ne faut pas laisser le temps faire son œuvre et laisser disparaître ces vies ou témoignages de vies : animaux comme œuvres. Le souvenir comme un regret, ou remords, porteur aussi de poésie, ou d'enseignement.
Je ne sais pas. Mais ce Déluge déposé et placé hors d'atteinte des crus spectaculaires de l'Arno, muselé dans un musée, me semble avoir perdu en intensité et mystère.