Les cerfs pleurent

Publié le par sandrin

Garouste, défaiseur de mythes, et faiseur d'images, a présenté sa version du mythe de Diane et d'Actéon au Musée de la chasse : Actéon c'est le pervers et le  viandard, qui encule ses chiens. Juste retour des choses : métamorphosé en cerf par une Diane outragée d'avoir été vue nue par un simple mortel, peut-être un tantinet arrogant, il sera déchiqueté par ses chiens. 

Je me demandais comment un tel mythe pouvait éclairer la chasse à courre. Car si je peux comprendre la chasse elle-même, quel qu'en soit le gibier, animal, femme/homme, pouvoir, honneurs, etc, comprendre donc ce qui peut être exaltant dans une quelconque quête, sa nature de  divertissement (Ils ne savent pas que ce n'est que la chasse et non pas la prise qu'ils recherchent, Pascal), j'ai du mal à comprendre comment on peut justifier cela à partir du moment où il y a pour le cerf tant de stress et de peur durant la poursuite, et au moment de l'hallali et de la curée  tant de souffrance et de violence   : car il s'agit d'un art de vivre qui consiste à traquer et acculer la bête, et la faire dépecer vive par les chiens dans le pire des cas, au mieux à l'achever à la dague à un moment donné. Oui le son du cor au fond des bois est particulièrement beau, mais la fin, l'est-elle encore ? 

J'ai bien toujours eu une petite idée sur la question. Le cerf ou sanglier, l'animalité dans toute sa force, étant non seulement ce qui fait peur, mais ce qui rivalise avec l'homme, sa puissance. Les bois des cerfs contre la dague du chasseur. La virilité de l'un contre les cornes de l'autre, symboles de la puissance masculine (ne fait-on pas porter par dérision les cornes au cocu). Garouste n'a sans doute pas tort quand il fait  du chasseur un enculeur de chiens : celui qui écrase, humilie pour affirmer sa virilité. Le fusil serait ce substitut phallique, son signe. 

Une façon également pour le chasseur, en plus de tuer le rival, de rendre l'animal à sa bestialité pure, corps souffrant, à vif, et  paradoxalement (quoi de plus naturel  que de tuer pour manger) de se défaire de cette part animale, jetée en pature aux chiens, revendiquant même, à travers notamment le mot chéri de "traditions", le nom de culture, et la Haute qui plus est,  la chasse à courre nécessitant tout un rituel, où les chevaliers émérites accompagnés de leur meute affamée, sont secondés par la piétaille, toujours prompte à s'incliner devant les signes de domination, devant le pouvoir qui vous en impose.

Mais les cerfs pleurent. Elisabeth de Fontenay invitée à tenir conférence avec Garouste au musée de la chasse, a prononcé cette phrase : "Les cerfs pleurent". Est-on alors encore dans cette virilité écrasée? dans cette animalité sans conscience ? 

Larmes de cerf, pour signifier à l'homme qui le regarde alors sa part d' inhumanité, lui qui ne veut pas considérer cette souffrance, ou qui, plus justement (certains chasseurs vous diront qu'ils ont de l'empathie) la considère et en tire plaisir, fasciné par cette cruauté qui s'exerce et fait surgir ce qui est en nous, et nous vient de loin, notre part la plus obscure. La mort de l'animal : un spectacle délectable. 

Et pourtant notre philosophe, auteur du Silence des bêtes, défenseuse des animaux, trouve qu'il serait presque dommage d'abolir la chasse à courre, car, selon elle,  elle s'apparenterait à un sacrifice, de celui qui impose une triangularité (Dieu, la victime expiatoire, le sacrificateur). 

Mais où est dieu alors ? 

A moins que tous ces chasseurs soient à la poursuite de Dieu, et espèrent qu'il va leur apparaître entre les bois du cerf, tel qu' à St Hubert ?

Est-ce ça donc le qui pro quo ?

Alors oui, ce qui se passe dans les élevages intensifs, les transports et les abattoirs, ce qui se déroule derrière les portes closes et opaques des laboratoires, c'est pire. Oui. Je suis d'accord. Des milliards d'animaux tués pour nous nourrir, des milliers torturés par les chercheurs. Mais qu'il y ait pire ailleurs et partout peut-il justifier de trouver plaisir à cette chasse d'un autre âge ?

Nous sommes des êtres de culture avant tout. Plutarque, végétarien,  déjà dénonçait le danger de tuer un animal : on s'y habitue, et on y prend gout. Et ce n'est certes pas ce qui peut éveiller en nous ce qu'il y a de meilleur, d'autant qu'un tel gout pour la violence peut conduire aux pires excès. Tuer donc pour le plaisir, puisqu'il ne s'agit plus ici de se nourrir (et je ne prendrais même pas en compte cette histoire de régulation des espèces). De quel droit ? Sinon celui du plus fort. Ceux qui participent à la chasse au cerf ont les certitudes de leur classe : on leur a inculqué un fort sentiment de supériorité, et ils ne comprennent pas qu'on puisse remettre en question leur mode de vie. Ils vous regarderont avec condescendance et vous diront que le cerf n'est qu'une chèvre, moins intelligent encore qu'un sanglier. Bref. Un pas grand chose qu'ils peuvent chasser et tuer. 

Si beau pourtant...et si fragile

le cerf fragile, tapisserie, début XVI (détail)

 

Ravie en tous les cas d'apprendre que Garouste est végétarien. En plus d'être un peintre extraordinaire, il fait des choix de vie formidables. 

addenda du 18 avril 2018 : ces chiens priapiques, on en trouve trace chez Courbet dans son monumental "L'Hallali du Cerf" de 1867. 

 Une vague  histoire d'homosexualité ?

Publié dans Nature, Art

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
félicitations pour ce bel article. Ton combat dépasse tous les autres. Continue !
Répondre
C
Bonjour, <br /> Éternel débat, mais c'est vrai que le combat entre l'animal et l'homme est inégal.<br /> Bonne journée<br /> @mitié
Répondre